Accueil Geneviève Laffitte, un regard parmis d’autres

Le tissage du pont...

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... ou le reportage inachevé.

Fin mai-début juin, le froid s’était déjà installé dans la Vallée sacrée, mais à ce moment du calendrier,
se déroulent quelques rituels incas.

C’était en particulier pour celui qui a lieu chaque année début juin au Pont de Q’eswachaka que j’avais fait le voyage au Pérou :
un rituel de trois jours, accompli depuis les Incas par quelques dizaines d’habitants des Andes péruviennes.

Lors d’un passage ici il y a quelques années, on m’avait parlé de ce pont et je voulais comprendre comment on pouvait tisser un pont ? pourquoi l’association de ces deux mots ?
et qu’est-ce qui fait que cette image est bien réelle ?
 Mais je savais aussi que mon envie de ramener des photos de corps et de mains au travail aurait des limites, car une des règles qui régissent la construction de cet ouvrage m’interdirait d’assister à toutes les étapes.
 Même de loin.

Q'eswachaka, Pérou,
9 juin 2016

 

C'est avec une herbe,
la q'oya ou ichu, que sont tissés les cordes puis
les cordages et les câbles avec lesquels est reconstruit chaque année le Pont de Q'eswachaka.

La q'oya, qui ne pousse qu'en altitude et que dans cette région,
est plus
solide que
les autres herbes.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Les paysans récoltent
la q'oya par brassées
qu'ils secouent pour ne
garder que les fibres
les plus longues.
Après les avoir fait sécher quelques jours au soleil, on les bat avec une pierre
et on les humidifie pour
pouvoir les travailler.
La q'oya est
une herbe
souple ; elle
ne se casse
pas si on la plie.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Cinq communautés
de paysans quechuas se retrouvent chaque année autour du pont :
Ccollana, Chaupibanda,
Perqaro, Qewe et Wichiri.
Certains viennent à pied de très loin à travers
les montagnes.

Q'eswachaka,
Pérou, 2016

 

D'où qu'ils viennent,
tous arrivent chargés d'écheveaux de cordes qu'ils ont tissées pendant des semaines.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Si les hommes récoltent les herbes et tissent parfois, le rôle des femmes est incontournable dans cette entreprise
hors du commun...

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... car c'est à partir des simples cordes, torsadées dans la paume de leurs mains, que prend naissance l'armature complète du pont.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Chacun indique
la longueur de cordes
qu'il amène pour
l'œuvre commune...

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... et donne le nom de la communauté à laquelle
il appartient.
Assis sur le talus
au bord de la route, deux hommes enregistrent
les déclarations.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Ceux qui ne peuvent
pas signer apposent l'empreinte d'un doigt
sur le registre.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Après ces formalités auxquelles je ne m'attendais pas, pensant que l'oral était le seul support des rituels, chacun dépose sa production de cordes.
Les écheveaux continuent alors de s'entasser
contre le talus.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... Et les femmes torsadent les fibres de la q'oya entre leurs mains calleuses.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

 

Début du travail du premier jour :
le déploiement des écheveaux de cordes.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Vérifcation
de l'état des cordes
et raccordement
des unes aux autres.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Elles sont étalées parallèlement sur la route
qui, il y a encore trois ans,
était en terre battue.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Séparation des cordes en trois séries d'une trentaine de cordes chacune.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Les cordes sont retenues par des pierres distantes de 70 mètres, longueur utile de cordes pour l'étape suivante du travail...

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... des pierres qui servent aussi à les tendre, ce qui
n'est pas facile sur une telle longueur.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Par de larges mouvements circulaires que font
les hommes aux deux extrémités, chaque
paquet de cordes finit
par être torsadé.
D'un bout à l'autre de
la route, on croirait assister à un challenge sportif où les hommes s'épuisent et se relaient.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Maintenir la torsion
à la force des bras...

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... et à la force des jambes.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

La torsade est terminée quand les hommes
se rejoignent.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Les trois torsades domptées, il faut les tendre
au maximum.
L'occasion d'une franche rigolade, toutes communautés mêlées!

Q'eswachaka,
Pérou, 2016

 

L'étape suivante :
faire une tresse à partir de trois torsades.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

La réalité :
vaincre le gigantisme pour obtenir une tresse géante, avec trois torsades massives et démesurées sans les enchevêtrer.

Q'eswachaka,
Pérou, 2016

 

Peser de tout son poids pour que la tresse avance...

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... et la maintenir à plat pour ne pas qu'elle vrille.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Et moins de trois heures plus tard...

Comment interpréter le résultat de ce travail ?
Ce magnifique objet est une simple tresse ?
Ou bien est-ce tout simplement un câble pour les bâtisseurs de cette œuvre collective qui revient chaque année ?

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Et du haut des rochers surplombant la scène,
des femmes et des enfants assistent au spectacle qu'offre ce travail
spécifiquement masculin...

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... alors que d'autres femmes continuent
de tisser la q'oya,
avec souvent des ampoules dans les mains.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

La tresse pliée en deux constitue deux des quatre câbles du tablier du pont.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Une fois chargée sur une trentaine d'épaules...

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... la descente dans le canyon n'est pas facile,
et même périlleuse
par endroits.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

La tresse est arrivée à destination, déposée près du pilier du pont.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Pour le tablier,
travail accompli
de ce côté de la rivière.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... Pendant que des femmes tissent encore
et toujours la q'oya.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

 

Travailler une torsade.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Uniquement deux torsades...

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... qu'il faut tendre ;
une autre occasion pour un joyeux tir à la corde !

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Des poignes solides pour
aboutir à une torsade
de torsades...

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... qu'il faut maintenir au sol pour aider à la progression du travail.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

De la paille tordue
comme une chevelure
de femme...
Un aussi bel objet
que la tresse du tablier.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Chargée à son tour sur une trentaine d'épaules, les hommes la descendront sur le chantier du pont.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

... Alors que des femmes
n'en finissent pas de tisser
la q'oya...

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

 

Sur l'autre rive,
avec les mêmes savoir-faire
et la même volonté de préserver le lien entre les communautés, d'autres paysans se sont livrés aux mêmes confections qu'ils descendent à leur tour près du pont.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Dans la fumée purificatrice d'un feu rituel pour que Pachamama protège
la construction du pont,
les hommes déposent leur part de travail.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Des offrandes sont adressées à la Pachamama :
la chicha est versée dans le sol pour la remercier
de ses dons et, dans l'anfractuosité d'un rocher, des œufs sont déposés en signe de fécondité.

Q'eswachaka, Pérou, 2016

 

Et pour qu'aucun mauvais présage et aucune malédiction ne planent sur la construction et l'avenir du nouveau pont, les femmes ne doivent ni voir,
ni assister à la suite
des travaux.
Ni de près, ni de loin.
Je ne peux qu'imaginer
le largage
du vieux pont
dans la rivière
au moment
où les hommes commenceront à tisser le nouvel ouvrage.

Je n'aurai assisté qu'à
une seule journée sur
les trois que dure le tissage du Pont de Q'eswachaka

Q'eswachaka, Pérou, 2016









Mon reportage s'arrête donc là comme suspendu, lui aussi, au-dessus du Rio Apurimac.